PAROLE DE PSY

Dois-je raconter ce que j’ai subi ?

La peur ressentie par la victime d’un inceste est souvent si forte que l’idée même de parler à une personne proche parait inenvisageable. Ne pas être crue, être considérée comme responsable ou consentante, les arguments entrainant le mutisme de la victime sont divers. Par ailleurs, la dimension familiale, qui est en jeu dans le cadre de l’inceste, offre une emprise plus importante encore de l’agresseur sur sa victime. En effet, le silence de celle-ci est très souvent lié à la crainte de voir la famille se diviser, ou « éclater ».
Et pourtant, la parole est salvatrice ! Alors oui, mille fois oui ! Il faut raconter ce que l’on a subi ! Parler, c’est avant tout libérer le cri d’injustice légitime qui ne demande qu’à sortir. Mais parler en s’adressant aux personnes proches ou représentants de la loi qui sauront entendre et reconnaitre le crime dont la personne est victime et l’agresseur coupable. Les lois sont les garantes d’une vie en société, aussi quand la justice condamne les coupables, les victimes sont réhabilitées et c’est un atout majeur dans leur reconstruction.

Si parler semble une épreuve trop difficile, écrire reste une alternative possible dans la mesure où le texte est ensuite transmis à des personnes de confiance qui sauront accompagner la victime dans une démarche judiciaire.

Constance de Ferrières

Pourquoi moi ? Je me sens coupable et j’ai honte

La culpabilité éprouvée par les victimes d’inceste est une douleur supplémentaire réelle qui s’ajoute à celles d’avoir été manipulées, salies, chosifiées…
La question « pourquoi moi ? » et le sentiment de culpabilité peuvent manifester la peur d’avoir provoqué l’agression par un comportement, une attitude particulière, que l’agresseur aurait pu considérer comme une « invitation ». Il n’en est rien ! Et une partie du travail pour la victime va consister, justement, à se battre contre cette culpabilité qui n’a pas lieu d’être. Le comportement manipulateur de beaucoup d’agresseurs va parfois entrainer la victime dans une spirale qui lui donne le sentiment d’être complice de cet inceste, et par conséquent de gagner son silence. Mais notre corps est infiniment précieux et nul n’a le droit d’en jouir contre notre volonté, quels que soient les arguments énoncés pour gagner notre confiance.

La honte est également un sentiment très largement partagé par ceux qui ont subi un inceste. « Je n’ai pas réagi », « je n’ai pas dit non, j’étais pétrifié. » Vous êtes victimes, salis, trahis par un membre de votre famille, mais surtout… surtout, vous êtes beaucoup plus que ça. Votre valeur et celle de votre existence sont d’une richesse infinie. Essayez de poser sur vous un regard bienveillant, compatissant, aimant tout simplement. La guérison commence par là.

Constance de Ferrières

Et si personne ne me croit ?

Parce que la nouvelle d’un inceste est souvent très douloureuse pour les proches de la victime, certains se protègent parfois en restant dans le déni et refusent de croire les faits relatés.
Même si ce n’est pas systématiquement le cas, être traité de menteur ou d’affabulateur, en plus d’être victime, ajoute une souffrance à celle déjà vécue de l’agression.
Pourtant, l’objectif de parler de ce qui a été subi n’est pas d’abord d’être cru, mais avant tout de se libérer, et c’est absolument fondamental, de briser ce secret destructeur.
C’est dans cette vérité qui vous étouffe et vous empêche de vous reconstruire que vous devez aller puiser l’énergie de parler. Prendre le risque de parler et de ne pas être cru par vos proches est un premier combat à mener pour une réhabilitation. L’être humain est plein de ressources exceptionnelles, et ce courage dont vous avez besoin en fait partie. Votre vérité est celle qui compte !

Constance de Ferrières

Si je parle, j’ai peur des conséquences sur l’unité familiale

Il est tout-à-fait normal d’appréhender les conséquences sur l’unité familiale. Révéler un inceste c’est en effet prendre le risque de faire éclater la structure familiale, l’ordre établi. Parce que si cette structure paraît unifiée lorsque les temps sont « doux », il n’est pas impossible que la tempête que représente l’annonce d’un inceste entraine des réactions très divisées et violentes au sein de la famille.

Néanmoins, on peut se demander si l’unité familiale que nous protégeons n’est pas bancale si elle ne résiste pas à une vérité énoncée.

La question qui se pose est s’il est raisonnable de garder pour soi une telle souffrance sous prétexte que la famille risque de se diviser ? Ou encore, en se taisant, qui protège-t-on ? Pourquoi la victime devrait-elle se sacrifier en se taisant ? Est-il juste qu’elle ait à subir seule et dans le silence la souffrance d’un inceste ? Enfin, garder le silence, c’est prendre le risque que ces comportements déviants se répètent et ce, au sein des générations suivantes, c’est prendre le risque de donner à ses enfants cette histoire en héritage.

Une fois encore, il est certain que parler n’est jamais facile mais c’est pourtant indispensable pour faire cesser ces agissements et ouvrir le chemin d’une reconstruction.

Dans cette difficulté à parler, il est infiniment précieux pour une victime de trouver un médiateur (ami, médecin, enseignant…) ; une personne qui saura lui dire « Je te crois. », première clé vers une réhabilitation et qui ensuite pourra l’aider à faire sortir le poison du traumatisme et à parler.

« Parler c’est reconnaître son statut de victime, afin de ne plus l’être plus tard. » Dr David Gourion

Constance de Ferrières

Le regard des hommes sur moi me fait peur

La personne victime associe le regard de l’abuseur posé sur elle, à la violence des gestes subis, et tout cela est enregistré dans le traumatisme de l’agression. L’abuseur agit comme un prédateur sur sa victime entrainant chez elle une angoisse de mort. Cette dernière va, par la suite, chez certaines victimes, se calquer sur tout ce qui peut être apparenté à l’agression. Aussi le désir masculin observé ou ressenti, la force physique manifestée, des regards insistants…peuvent raviver dans l’inconscient le souvenir du traumatisme et réveiller la peur ressentie au moment des faits.
Le rapport aux hommes d’une façon générale va ainsi porter les conséquences du traumatisme. Il faut se laisser le temps de ré-apprivoiser le sexe opposé et trouver le moyen d’échanger avec des hommes qui respectent infiniment la femme et reconnaissent en elle un mystère à contempler et non un objet dont on fait ce que l’on veut pour son propre plaisir.

Constance de Ferrières

En tant que personne abusée, j’ai peur de reproduire ce que j’ai subi

Ce n’est pas parce que l’on a été victime que l’on devient abuseur, et heureusement. Néanmoins, cette peur est saine dans la mesure où elle invite à la vigilance. Une jeune patiente, abusée durant plusieurs années, m’a dit un jour qu’en donnant le bain lors de babysittings, elle se demandait toujours si l’enfant ne ressentait pas une peur ou un mal-être quand elle lui savonnait le corps. Je lui ai répondu que si elle se mettait à la place de l’enfant, elle n’avait pas ce comportement déviant. En effet, l’abuseur ne se met jamais à la place de sa victime et ne se pose pas la question de ce qu’elle peut ressentir.

Mais il est certain que si une attirance pour un corps d’enfant ou d’adolescent est vécue, si un désir de toucher, de caresser éveille un plaisir sexuel, il est urgent d’en parler à un psychiatre, psychologue, ou psychothérapeute, afin d’être immédiatement accompagné et aidé.

Constance de Ferrières

L’enfant intérieur : interview de Florence Sassard

Janvier 2018

Interview de Florence SASSARD
Psychologue chrétienne (Morbihan),
membre de l’association MCAdS
créé par Bernadette Lemoine

Par Agnès Galloy

Plusieurs personnes victimes d’inceste dans leur enfance m’ont parlé de « la petite fille intérieure ». Les victimes dissocient-elles vraiment complètement, l’enfant qu’elles étaient et qui a été abusée et la personne adulte qu’elles sont devenues ?

Florence Sassard: Si les personnes victimes d’inceste parlent de la « petite fille intérieure », c’est bien que quelque chose de cette « petite fille » a été touché au plus profond de son être intérieur. C’est comme si par l’inceste, passage à l’acte qui constitue le franchissement d’une barrière interdite, le développement normal de cet enfant s’était arrêté, voire trouvé brisé.

L’interdit de l’inceste constitue un tabou nécessaire au bon fonctionnement de toute culture humaine pour le bien-être de tous dans une société. Si la loi interdit et punit fortement les actes incestueux, c’est bien pour protéger l’enfant de ce danger. C’est une violence extrême pour un enfant d’être placé comme partenaire sexuel d’un adulte. Dès l’instant où il y a inceste, l’enfant n’est plus considéré comme « sujet », mais bien comme « objet » pour satisfaire aux pulsions sexuelles d’un adulte qui abuse de lui, alors qu’il a le plus généralement confiance en cet adulte dont il a besoin pour grandir.

En effet, un enfant ne possède pas la maturité ni physique, ni psychologique, ni affective pour vivre cela. Et surtout, il est pris dans une confusion de place et de rôle qui détruit toute distance générationnelle avec l’adulte, nécessaire au bon développement de sa personne. Cette tendance aliénante de l’inceste place l’enfant dans une confusion des générations qui l’empêche d’exercer son désir de grandir et de prendre sa juste place.

Quand l’inceste se met en place, il est généralement soumis à la loi du silence imposé (soit par chantage, menace…). L’enfant se trouve pris au piège dans un cercle vicieux où il devient otage, et acteur malgré lui, de ce système maltraitant. L’enfant se trouve maintenu dans un statut d’« infans », c’est-à-dire celui qui est privé de pensées et de paroles. Il se sent isolé, impuissant et ne trouve personne à qui se confier. Les adultes dont il a besoin pour grandir peuvent être ceux-là même qui abusent de sa position fragile d’enfant, d’autant plus que l’abuseur est généralement une personne de confiance.

L’inceste est le plus souvent pris dans une pathologie familiale plus large qui place l’enfant dans ce rôle où il se doit de faire le jeu de l’inceste, le plus souvent pour réparer des dysfonctionnements familiaux d’ordre transgénérationnel.

Lorsque l’adulte intervient sur un enfant, celui-ci n’a pas encore construit son désir de la réalité sexuelle. Un enfant qui se développe normalement va aborder sa sexualité de manière progressive. Il va d’abord connaître son propre désir en y construisant des limites. C’est notamment dans la réponse parentale aux désirs sexuels qu’il exprimera lors de la phase œdipienne qu’il en forgera les limites. Or si dans cet espace psychologique qu’il se construit, quelqu’un d’autre intervient, il ne pourra donc pas intégrer correctement cette expérience, car il n’en a pas la maturité. Une expérience sexuelle en période d’immaturité risque de générer des difficultés dans le développement de sa personne, des sentiments destructeurs, ainsi que des comportements de survie.

Le développement de la personne est donc mis en péril du fait qu’il y a atteinte des éléments nécessaires à la croissance, tels que la confiance en soi, en l’autre et dans la vie. C’est le développement psychologique, scolaire, professionnel, social et sexuel qui peut être compromis. C’est en acquérant une confiance de base que l’enfant pourra prendre les risques nécessaires pour franchir les étapes successives normales de son développement. Même s’il a pu développer une certaine confiance dans les premiers mois ou les premières années de sa vie, celle-ci se trouve compromise s’il y a survenue de violences sexuelles au cours du développement de l’enfant.

C’est comme si quelque chose se figeait dans le temps, tant au niveau de la confiance en l’autre, en l’occurrence l’adulte protecteur et tuteur aidant à grandir, qu’au niveau des différents domaines d’apprentissage de la vie. Il en résultera notamment des difficultés à exprimer ses émotions et ses besoins, une impossibilité à dire non ou au contraire un rejet général pour tout et la difficulté à apprécier les limites entre soi et l’autre, entre ses propres désirs et ceux des autres. Il sera très compliqué de construire une image de soi positive basée sur la confiance et l’estime de soi qui sont alors atteintes.

Des sentiments destructeurs tels que la honte, la culpabilité, des sentiments d’ambiguïté et d’insécurité se développent et viennent de surcroît aggraver le développement de l’enfant, notamment dans tous ses domaines d’apprentissages. Nous sommes avec l’inceste dans le champ du psycho-traumatisme. L’enfant aura donc à faire face à une mémoire traumatique qui vise à faire ressurgir le trauma de façon anxiogène et envahissante comme en témoigne la présence de souvenirs pénibles, de cauchemars répétitifs, etc… Une lutte, souvent inconsciente, mais ô combien épuisante, se met en place pour la personne afin de ne pas ramener à la conscience ce qui est insupportable. Deux syndromes peuvent dans ce contexte psycho-traumatique se manifester : le syndrome de répétition qui vise à faire ressurgir le trauma et le syndrome de Stockholm qui vise à protéger l’agresseur.

Pour faire face à l’insupportable, des mécanismes de défense psychologique se mettent donc en place. S’ils sont nécessaires à la survie de la personne, ils peuvent néanmoins entraver le processus naturel de croissance et de développement de l’être. La dissociation qui fait partie de ces mécanismes de défense se situe entre le corps et le psychisme. Elle vise à rendre supportable une souffrance insupportable.

Il y a donc dissociation entre les sensations du corps et l’interprétation qu’en donne l’esprit, c’est-à-dire avec la réalité affective et émotionnelle. La dissociation est un mécanisme fondamental, utile à la survie de l’enfant, mais qui constitue de facto une fuite de la réalité. C’est alors comme si l’enfant devenait extérieur à lui-même. La coupure se situe dans un espace-temps inconcevable psychiquement pour la personne. L’enfant est bien forcé de se protéger d’une réalité à laquelle il ne peut malheureusement pas échapper du fait même de son statut d’enfant. Il se coupe alors de lui-même et de la réalité qui l’entoure.

La dépersonnalisation est un autre mécanisme de défense qui va permettre à l’enfant de se construire un imaginaire (ex : famille imaginaire) visant à nourrir de façon illusoire ses besoins affectifs. Ce sont des enfants qui auront tendance à taire leurs propres besoins d’être aimés et reconnus. Ils sont pris dans une dépendance affective malsaine où ils ne peuvent plus être « sujet ».

D’autres mécanismes de défense peuvent encore se mettre en place tels que le déni entraînant un épuisement constant chez la victime qui lutte contre le retour du réel. Souvent soumis à d’autres dénis, celui de l’abuseur ou celui de la famille, le déni empêche la personne de faire la vérité et la soumet à une forte culpabilisation.

L’expérience de l’abus provoque souvent une forme d’anéantissement (se rapportant au sentiment d’être mort au moment des faits), ce qui pétrifie la personne et la fige dans une non-valeur d’être et d’action. Cette pétrification du mal se loge dans le corps et s’exprime sous forme de maux corporels divers.

D’autres mécanismes de défense visent à s’approprier les éléments terrorisants de la situation pour y faire face. Il s’agit, par exemple, d’une identification de survie à ce qui stigmatise la personne (« mieux vaut être « enfant abusé » que rien »). Ce phénomène provoque la honte comme si l’expérience abusive était inscrite sur la personne elle-même.

En s’identifiant à son abuseur, l’enfant prend sur lui le mal et la culpabilité pour accepter la situation. Sa personnalité se retrouve clivée l’empêchant ainsi d’accéder à la réalité même de l’abus.

Quelque chose de précieux a été touché du fait de l’effraction de l’enveloppe physique et psychique de l’enfant que nul adulte n’a pu protéger. C’est autour de cette expérience d’anéantissement de soi que l’enfant devra se constituer une personnalité.

Nous comprenons dès lors que l’enfant vit au travers de l’inceste une rupture dans son développement normal. Cet enfant en souffrance restera prisonnier de tous ces mécanismes de défense, même une fois devenu adulte, tant qu’un travail de vérité n’aura pas été fait pour intégrer cette expérience, aussi malheureuse soit-elle, comme faisant partie de son histoire.

Pour répondre à la question, cette dissociation qui se met en place et isole « la petite fille intérieure » est finalement nécessaire à sa survie. C’est la seule façon pour elle de se protéger d’une réalité insoutenable. Si la « petite fille » a été abusée, c’est toutefois à la personne, une fois devenue adulte, de faire son chemin pour prendre conscience qu’elle a été victime d’abus sexuel, ou d’inceste.

Cette dissociation est-elle fréquente ? Les garçons victimes peuvent-ils aussi faire cette dissociation ?

FS: Cette dissociation entre « la petite fille intérieure » et la personne abusée devenue adulte semble être la plupart du temps présente du fait de cette cristallisation de l’abus dans le temps de son développement. Il y a quelque chose à reconstruire pour retrouver une linéarité dans son histoire personnelle du fait de toutes les dissociations intérieures auxquelles est soumise la personne pour faire face à l’insupportable réalité de l’inceste. Quelque chose s’est figé au cours de son développement, et ce, du fait d’une intrusion dans la sphère sexuelle que l’enfant n’est pas prêt à découvrir du fait de son immaturité.

C’est souvent plus tard, au moment de la découverte de sa propre sexualité, que vont ressurgir les blessures les plus profondes. La « petite fille intérieure » refait alors surface de façon souvent désorganisée, mais comme un appel au secours à sauver ce qui s’est trouvé en danger, au moment des abus pendant l’enfance ou l’adolescence. Parfois, les mécanismes de défense se sont si bien organisés que la personne a pu refouler l’abus au point de l’oublier, c’est-à-dire l’effacer de sa mémoire consciente. Mais, cette lutte entre l’inconscient et le conscient finit généralement par révéler les souvenirs douloureux enfouis. Quand le souvenir douloureux refait surface, il y a alors tout un travail à faire pour accueillir cette «petite fille » en souffrance et soigner chez elle ce qui a été blessé.

Ce mécanisme fonctionne probablement de la même façon pour une fille ou pour un garçon au niveau des phénomènes psychiques. Ils ne se manifestent néanmoins peut-être pas de la même façon entre un homme et une femme ayant à faire face à cette douloureuse réalité. Fille ou garçon, il n’en demeure pas moins que la blessure s’inscrit dans le corps et le psychisme de la personne. Néanmoins, la façon d’y faire face peut-être différente selon qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme. On peut imaginer que, dans la situation d’un jeune garçon abusé par un adulte homme, la confusion des sexes est d’autant plus forte, s’ajoutant à celle des générations.

Un homme abusé parle-t-il de son « enfant intérieur » ? Cette question est à approfondir à partir du vécu de ces derniers et du recueil de leurs paroles. En revanche, nous pouvons tout à fait supposer que les hommes sont soumis aux mêmes mécanismes de défense psychiques que les femmes, mais cela peut se révéler de façon différente du fait même de leur statut masculin. L’abus sexuel s’inscrit toujours dans une histoire singulière. C’est ce travail sur la subjectivité de la personne qui est important afin qu’elle reprenne sa place de sujet tout en prenant conscience de ce qui a été touché en elle.

Cette dissociation explique-t-elle que ces personnes mettent tant de temps à parler, comme si ce n’était pas elles qui avaient été victimes mais cette petite fille, pouvant aller jusqu’à oublier ?

FS: Les raisons qui empêchent de parler sont nombreuses. Si la dissociation fait partie des mécanismes de défense qui empêchent d’avoir accès à la réalité du vécu, elle n’est pas la seule, comme nous l’avons vu lors de la réponse à la première question expliquant la mise en place de divers mécanismes de survie. Pour oser parler de l’inceste vécu, il y a tout un cheminement à faire. Si des mécanismes de défense sont à lever, la révélation d’un abus est un chemin difficile.

Parler signifie sortir du rôle muet auquel l’enfant a été cantonné du fait même de la situation d’abus. Par sa parole, la personne trahit le secret, fondement de la relation abusive. En révélant ce secret, la personne transgresse un nouvel interdit, celui de penser et de parler que lui a ôté la situation abusive. Redire, c’est aussi pour la victime, faire ressurgir l’insupportable.

Libérer ce secret, c’est prendre des risques tels que dénis et représailles, voire accusations de la part de l’abuseur, faire éclater un système familial qui tient souvent grâce au secret gardé, porter la responsabilité coupable de l’abus, perdre sa place et ses liens familiaux, etc. La victime se trouve donc souvent aux prises avec des confusions émotionnelles et des conflits de loyauté qui l’empêchent également de penser et de parler. Elle se sent le plus souvent coupable de ce qu’elle a vécu, coupable de parler et coupable des conséquences de sa parole. Mais pour autant, sa survie peut dépendre de la révélation de ce secret.

Parler, c’est faire passer l’inceste de l’intime au social, avec tous les risques de dénis et de culpabilisation qui peuvent s’ensuivre, au niveau familial, social et parfois judiciaire. Révéler l’inceste, c’est exposer publiquement ce qui a été subi au plus intime de son corps. Les barrières de la honte et de la culpabilité sont, elles aussi, à lever. Ce qui est à révéler est le plus souvent quasi-impensable ou innommable. Ce travail de mise en mots se confronte à des barrières psychologiques fortes liées, en premier lieu, à tous les mécanismes de défenses psychologiques décrits précédemment, et en second lieu, à la crainte des réactions sociales, surtout celles de l’entourage proche de la victime.

Révéler l’inceste, c’est affronter un système familial et parfois même les membres qui le composent, avec le risque de porter la responsabilité coupable de l’inceste. Les réactions de déni et de culpabilisation de la victime par l’entourage sont extrêmement fréquentes.

La révélation amène donc une dépense d’énergie considérable pour la victime qui doit composer avec ses propres défenses psychologiques et en même temps faire face aux réactions le plus souvent hostiles de son environnement, même le plus proche.

Si la révélation amène un soulagement, elle s’accompagne généralement d’une intense angoisse qui provoque un épuisement physique et psychologique pour la victime, d’autant plus si elle est soumise à des pressions extérieures (telles que les menaces par exemple). Dans cette période d’extrême fragilité, la victime peut fortement douter d’elle-même (de sa mémoire, de sa parole, de sa bonne foi…).

En fait, il s’agit par la parole de sortir d’une relation d’emprise. Et c’est sûrement cette dimension qui empêche le plus souvent la victime de parler. Sortir de cette relation d’emprise, c’est donc comme la question le suggère libérer cet « enfant intérieur » qui reste prisonnier d’une relation abusive inscrite généralement dans un système familial dysfonctionnel. Pour sortir de son statut de victime, la personne aura certainement à affronter ce système familial qui aura permis qu’un inceste s’y autorise. Si enfant, la démarche est extrêmement difficile à faire, c’est une fois devenue adulte que la victime aura à faire ce travail de vérité pour restaurer la place et la dignité de cet « enfant intérieur » en lui faisant justice.

La guérison, ou le début de la guérison, correspond-t-elle à ce qu’on pourrait appeler « la réunion de ces deux personnes en une seule » ?

FS: Comme nous l’avons abordé précédemment, la blessure provoquée par l’inceste n’est pas seulement la dissociation entre cet « enfant intérieur » et la victime devenue adulte. Cette dissociation est une des conséquences parmi d’autres, des violences sexuelles incestueuses vécues dans l’enfance par des personnes sur qui la victime aurait dû pouvoir compter pour grandir en sécurité et en confiance. Il y a en premier lieu défaut du cadre éducatif et parental qui n’a pas permis d’assurer la sécurité affective et relationnelle nécessaire au bon développement de l’enfant. Outre l’angoisse d’abandon et l’expérience d’anéantissement laissées par l’inceste, d’autres conséquences psychologiques peuvent se développer dans la vie de la victime auxquelles elle aura à faire face pour se reconstruire.

Une blessure réelle s’est inscrite chez cette personne, dans son corps comme dans son psychisme, ayant des conséquences dans sa relation avec les autres, dont elle aura bien du mal à se défaire complètement. Si la blessure peut se soigner, la cicatrice restera gravée en elle. On ne sort jamais indemne d’une expérience d’inceste. C’est en effet en intégrant cette « expérience », aussi malheureuse soit-elle, comme faisant partie de son histoire que la personne pourra alors réunifier toutes les parties d’elle-même qui ont été touchées et qui provoquent une dissociation non seulement à l’endroit de la « petite fille intérieure », mais aussi dans les différentes dimensions de son être.

En effet, d’autres domaines de la personne sont affectés par cette expérience douloureuse comme son développement personnel, familial, social, scolaire, professionnel, mais aussi sexuel. Par cette intimité blessée, c’est l’être qui est touché au plus profond et dans toutes les dimensions de sa vie. La peur, la terreur, l’angoisse, les cauchemars, le manque d’estime de soi et de confiance en soi, la dépression, les problèmes de sociabilité, l’incapacité à faire confiance, la colère et l’hostilité, la confusion des rôles, des générations et parfois des sexes entament aussi fortement la capacité à trouver sa place dans le monde, marquée également d’une pseudo-maturité affective et sexuelle incluant parfois des conduites sexuelles à risque (pouvant aller jusqu’à la prostitution).

Il s’agit donc pour la personne de comprendre que, par l’inceste, elle a été victime d’abus de confiance et de pouvoir, et surtout qu’elle a vécu un traumatisme dans son développement normal. Il est important qu’elle comprenne qu’elle n’a pas bénéficié de la protection nécessaire de la part des adultes qui l’entouraient à son développement personnel. Il y a eu faille dans le système familial qui a permis que l’inceste s’y installe.

Elle n’est en aucun cas ni responsable, ni coupable de l’inceste qu’elle a vécu, contrairement à ce que peut vouloir lui faire croire son entourage, comme cela arrive bien souvent. L’enfant attend généralement de l’adulte en qui il a confiance de la tendresse et il lui manifeste souvent une demande affective à laquelle, par l’inceste, l’adulte va répondre, sur un mode pathologique, en passant à l’acte sexuel. L’enfant ne peut pas être responsable de ce passage à l’acte, car tout contact sexuel entre un enfant et un adulte relève de la responsabilité de l’adulte qui prend alors l’initiative de cette transgression. Les enfants sont généralement loyaux envers les adultes, et il y a alors abus de la confiance que l’enfant accorde à l’adulte.

Il s’agit donc de reprendre avec la victime ce qui a été touché dans son histoire personnelle par cette situation d’inceste vécue pendant l’enfance et parfois pendant l’adolescence. Il s’agit de prendre soin de l’enfant qui a été blessé chez cette personne, tout en comprenant les mécanismes pathologiques du système familial dans lequel s’inscrit l’inceste, ainsi que les circonstances insidieuses dans lesquelles s’est déroulé le passage à l’acte.

D’un enfant symptôme d’un système familial pathologique, on passe à un enfant victime de ce système. L’enfant paie par l’inceste une dette familiale qui se transmet généralement de façon transgénérationnelle et fait le « jeu » de la reproduction de mécanismes maltraitants. Dans les situations incestueuses, l’enfant est mis à une place qui n’est pas la sienne et joue un rôle qui permet de réguler un système familial défaillant et pathologique. Des triangles pervers font parfois jouer à la petite fille le rôle antinomique « d’amant-enfant » à l’égard du père, par exemple. On observe également des rôles de parentification où l’enfant devient le parent de son parent. Il existe des familles à ambiances incestueuses selon différents degrés où le passage à l’acte n’est pas encore effectif, mais des rituels relationnels peuvent placer l’enfant dans ce type de relations pathologiques entraînant aussi des traumatismes psychologiques.

Les blessures liées à l’inceste sont donc multiples et dissocient en effet la personne, sur différents plans, empêchant non seulement l’unité entre l’enfant intérieur et la victime devenue adulte, mais aussi l’unité de toute sa personne sur les différents plans de son épanouissement. Elle a été atteinte au cœur même de son identité du fait qu’elle n’a pas pu prendre sa place d’enfant dans un contexte familial ne favorisant donc pas sa croissance normale sur tous les plans de son épanouissement personnel. Tout est à reconstruire, c’est souvent une question de survie pour la victime et cela passe par le chemin d’une mise en mot et d’une prise de conscience de tout ce qui a pu favoriser le passage à l’acte. Dans quel contexte familial, l’inceste s’origine-t-il pour cette personne ? Comment a-t-elle été amenée à vivre cette situation ? De quelle façon a-t-elle été prise dans ce système relationnel pathologique ?, etc.

C’est en relisant son histoire de façon subjective que la personne pourra reprendre sa place de « sujet » et enfin sortir de son statut de victime. Et, il s’agit bien ici d’accueillir cet « enfant intérieur » dans ce qu’il a vécu le plus subjectivement possible. Peut-on en revanche vraiment parler de « guérison », dans la mesure où il s’agit avant tout d’apprendre à vivre avec ce qui a été vécu, malgré l’horreur que représente l’inceste ?

Il ne s’agit en effet pas de nier la réalité de ce vécu qui fait partie de l’histoire de la personne victime d’inceste, mais bien au contraire de faire la vérité. Faire la vérité, c’est pouvoir dire sans la dénier cette réalité de l’inceste. Nommer cette réalité, c’est aussi redonner à chacun sa juste place : à l’adulte sa place d’adulte qu’il n’a pas su ou pu prendre et à l’enfant abusé, sa place d’enfant dans un contexte où il aurait dû être protégé. Si par un chemin de vérité, la personne peut être restaurée dans tout son être, y compris dans son intimité la plus profonde, elle ne pourra en revanche jamais oublier ce qui s’est inscrit dans sa chair. Faire ce travail de vérité, c’est aussi briser une chaîne transgénérationnelle pathologique pour les générations à venir. Il s’agit bien pour la victime de travailler dans un esprit de restauration et de confiance en la vie, malgré et au travers de cette expérience malheureuse.

Quels conseils pourriez-vous donner à ces personnes qui pensent que la victime est cette petite fille et non pas l’adulte qu’elles sont aujourd’hui ?

FS: Si la petite fille a été abusée, elle est victime en tant que personne, et c’est à l’adulte qu’elle est devenue de la faire sortir de ce statut de victime. Seul un adulte peut secourir cette petite fille aux prises avec le réel danger de l’inceste. En revanche, la personne reste victime d’une situation d’abus tant qu’elle ne sort pas de cette position d’enfant abusé.

Il est donc primordial de faire un chemin de mise en mots et de vérité comme il l’est expliqué à la question précédente. Cela concerne l’aspect thérapeutique qui consiste à intégrer cet événement comme faisant partie de son histoire personnelle. Cela implique de descendre en soi-même pour comprendre ce qui s’est passé : Comment cela a-t-il pu lui arriver ? Pourquoi elle ? Pourquoi telle personne lui a-t-elle fait cela ? Pourquoi telle autre n’a-t-elle pas deviné ou pas réagi ? Qu’a-t-il été touché chez elle ? Quelles sont les conséquences dans sa vie actuelle ? Qu’est-ce qui est encore blessé chez elle ? Quels sont ses sentiments (honte, culpabilité, colère…) ? Quel est son état moral (fatigue, angoisse, dépression…) ?, etc.

C’est bien de l’aspect subjectif dont il s’agit de prendre soin ici. Pour reconstruire, il est nécessaire de comprendre ce qui a été touché, abîmé. Il est primordial pour la personne de comprendre qu’elle a été victime d’inceste et qu’elle en reste victime tant qu’elle ne fait pas un véritable travail pour en sortir. Ce travail passe avant tout par cette prise en compte de soi et de ce qui a été blessé à travers l’inceste. Si cette personne a été niée enfant, elle a à s’accueillir aujourd’hui en tant que personne adulte capable de dire « je » et de regarder ce qu’elle a vécu en se disant à elle-même quelles en sont les traces « indélébiles ». Ce travail doit permettre de prendre la distance suffisante pour appréhender également les dysfonctionnements familiaux, voire transgénérationnels, qui ont permis ces actes incestueux.

Si une mise en mot est possible chez le thérapeute, elle n’est pas toujours évidente au sein de la famille pour venir dénoncer un (ou des) coupable(s).

En revanche, ce travail de révélation s’avère nécessaire pour sortir du statut de victime. Car souvent, si la situation d’inceste ne perdure pas à l’âge adulte, la relation d’emprise peut se poursuivre, au sein du système familial, maintenant l’adulte-victime dans une position d’enfant, celui qui ne pense pas et ne parle pas. Oser se parler à soi-même au travers de la thérapie est une chose, oser parler à l’entourage en est une autre, et peut raviver la douleur de l’inceste, en particulier lorsque le déni et la culpabilisation vis-à-vis de la victime et des actes persistent dans la famille. Ce déni peut porter sur la réalité (« ça n’a jamais existé »), sur la gravité (« d’autres s’en sortent, tu ne vas pas nous ennuyer avec cela », « tu exagères »…) ou sur l’anormalité (« ça arrive à d’autres »). Faire reconnaître l’abus et sa gravité sera une autre étape importante pour la personne. Il est difficile pour la victime de se restaurer tant qu’il n’y a pas reconnaissance de l’abus par ses proches, mais aussi sans doute par l’abuseur.

Faire appel à la justice peut s’avérer nécessaire dans certains cas. En revanche, se pose la question des preuves. Sans preuve, il semble difficile de faire reconnaître le coupable par la justice. Ce type d’expérience judiciaire malheureuse risque de renforcer la souffrance de la victime, en ravivant la blessure et renforçant le sentiment d’insécurité face à une loi qui n’a pas été respectée.</p>

Si les délais de prescription visent à s’allonger, la révélation pour la victime peut prendre un tel temps que ce délai est plus que nécessaire afin d’arriver à une réelle prise de conscience de l’abus incestueux et à la possibilité d’en parler. C’est tout un long processus qui se met en œuvre pour cheminer personnellement et prendre sa place en tant que sujet, pour passer de l’intime blessé dans le secret à la révélation familiale, sociale et parfois judiciaire.

La victime devenue adulte peut donc se faire le porte-parole de l’enfant-abusé. C’est en acceptant pleinement son statut de victime que l’adulte peut donner voix à cet enfant intérieur qui n’a pu exprimer son désarroi et sa détresse face au monde adulte défaillant. Si cet enfant intérieur continue de crier sa douleur, à l’adulte de prendre bien soin de l’écouter avec bienveillance et compassion. Si cet enfant intérieur souffre encore, c’est également l’adulte qui souffre encore dans son corps, dans son cœur et dans son esprit. Ce n’est qu’en accueillant et en prenant soin de cet enfant en détresse que l’adulte pourra en effet « guérir » de son passé, ou en tout cas apprendre à vivre avec.

A la victime devenue adulte de se faire « parent » pour rassurer l’enfant intérieur, fragile et blessé, qui peut refaire surface dans certaines situations du quotidien. Or, tant que cet enfant refait surface, c’est qu’il demande encore et toujours à être consolé, à être rassuré, à être « sauvé », etc. Si l’enfant intérieur continue de faire appel à l’adulte qu’est devenue la victime, c’est qu’il n’a pas encore bien repris sa place d’enfant dans l’histoire de la personne. Cela peut être long, voire le chemin de toute une vie !

J’ai ressenti du plaisir et je ne me le pardonne pas

Il est en effet possible de ressentir du plaisir quand on est agressé sexuellement, et cela entraine des conséquences extrêmement douloureuses, en plus de l’agression elle-même.

Lorsque l’on parle de plaisir ressenti dans le cadre d’un inceste, il faut savoir que celui-ci se manifeste dans les premières phases de l’agression ; il peut s’agir d’un simple plaisir relationnel, provoqué par un compliment, mais aussi un plaisir sensuel qu’aurait éveillée une caresse, ou encore sexuel dans le cas du toucher des organes. La sensibilité à un compliment reçu ou la réaction physique relative au toucher, qui restent parfaitement normales, entrainent malheureusement une souffrance décuplée liée à la culpabilité de la victime. Celle-ci éprouve le sentiment d’avoir « participé » par le plaisir ressenti, et cela va entrainer des émotions ambivalentes. La honte, le dégout et la souffrance associés au plaisir ressenti, vont créer chez la victime une profonde confusion. La sexualité risque par la suite d’en être marquée et par conséquent mal vécue. La victime associant les gestes de l’union des corps à la perversion ressentie lors de l’agression, va alors, inconsciemment, s’interdire tout plaisir sexuel et éteindre son désir.

Il est alors fondamental de libérer cette culpabilité en prenant conscience que nos corps et esprit ont cette capacité d’éprouver du plaisir et que nous n’en sommes pas responsables. Il est normal que notre corps réagisse à une stimulation. Ce qui n’est pas normal est que l’abuseur ait provoqué volontairement cette stimulation dans un cadre non consenti et violent. Il est le seul coupable !

Aussi, avec beaucoup de tendresse pour soi-même, de douceur et de patience, la personne victime peut ré-apprendre à apprécier le fait que son corps sait ressentir du plaisir, manifestant ainsi qu’il est vivant. Il est important de pouvoir verbaliser auprès de son conjoint, les douleurs et les peurs liées aux gestes sexuels, afin que celui-ci accueille avec un infini respect cet être qui se donne à lui avec un corps qui a souffert, et puisse à son tour se donner quand il s’y sentira autorisé.

Car même si le chemin est souvent long et difficile, la personne victime peut parvenir à vivre une sexualité consentie, dans le don de soi, le respect des corps et des êtres, avec cette joie du plaisir ressenti.

Constance de Ferrières

Le Syndrome de sidération psychique

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Le syndrome de Stockholm

Phénomène psychologique qui tire son nom d’une prise d’otage ayant eu lieu à Stockhlom en 1973, lors de laquelle les otages vont finalement s’interposer entre les ravisseurs et les forces de l’ordre, par la suite refuser de témoigner contre eux, et aller jusqu’à leur rendre visite en prison.

Ce syndrome a pu être observé de nombreuses fois dans des situations où la vie des otages était pourtant menacée. Ceux-ci vont développer un sentiment d’empathie jusqu’à adhérer à la cause du ravisseur, dans le cas où il se produit une identification de la victime à l’agresseur.

Ce phénomène s’installe, comme un aménagement psychologique dans une situation de grand stress.

Le fonctionnement de ce syndrome s’observe dans d’autres contextes que celui de la prise d’otage, lorsqu’il y a une situation d’agression qui se prolonge dans le temps.

Dans le cadre familial, le système installe naturellement une domination de l’adulte sur l’enfant, celui étant enfermé dans une loyauté envers son parent. Cette loyauté entrave sa liberté et peut le pousser à trouver des circonstances atténuantes à un comportement déviant du parent dont il aura été victime, voire à considérer son parent agresseur comme victime lui-même de quelque chose qui le forcerait à agir ainsi malgré lui.

Constance de Ferrières

La médiation familiale, une bonne idée ?

La médiation familiale offre un espace de parole qui permet, avec l’aide d’un tiers neutre, d’aborder ce qui perturbe les relations familiales. Le cadre sécurisant et confidentiel favorise le dialogue et aide à trouver des réponses pour avancer.

Le drame de l’inceste impacte fortement la ou les victimes, mais également l’entourage familial. Après le choc de l’annonce, de nombreuses questions surgissent, confuses : que dire, que faire ? La crainte de mal faire a parfois pour effet de replonger la famille dans le silence. Un silence lourd, pesant. Or, certains membres de la famille et également des amis proches peuvent avoir besoin d’en parler. Certes, parler au sein de la famille, c’est possible, avec la difficulté cependant d’en rester au stade du ressenti et d’arriver rapidement au sentiment de ne pas se comprendre, de tourner en rond, parce que l’impact est différent d’une personne à l’autre.

Dans un lieu sécurisé comme celui de la médiation, il devient possible de parler d’un sujet aussi douloureux que celui de l’inceste, de s’autoriser à exprimer ses ressentis, ses incompréhensions, ses frustrations sans risquer d’ajouter à la douleur familiale. Lorsque la parole circule à nouveau, cela aide à faire le point, à clarifier ses pensées pour donner du sens et à poser des décisions ajustées à la situation. A l’inverse, le silence aura tendance à figer les relations familiales et à les enfermer dans l’interdit de dire. Ces fermetures peuvent préparer pour l’avenir le risque de répétitions pesantes pour les générations suivantes.

La médiation familiale est donc adaptée pour l’entourage, que l’on peut considérer comme victimes collatérales de l’inceste. Si une personne exprime une souffrance particulièrement profonde, elle pourra y prendre la décision d’un suivi auprès d’un psychologue. Le principe sera la liberté de venir ou pas, car face à un traumatisme familial, le temps n’est pas le même pour tous.

Concrètement, plusieurs membres d’une même famille peuvent solliciter un médiateur familial pour répondre au besoin d’aborder ensemble certains sujets. En revanche, on préservera la victime de ces rencontres, afin que la parole ne constitue pas une nouvelle forme de violence qui porterait atteinte à son travail de reconstruction. Un seul membre de la famille peut également contacter le médiateur pour mener un travail sur ses relations familiales dans le cadre d’une médiation transgénérationnelle*.

Karine Mauguin
Médiatrice familiale D.E

« La médiation transgénérationnelle » de Hélène Micollet Olagnon et Delphine Guéry aux éditions Médias&Médiations