PAROLE DE PRÊTRE

INTERPRETER LA PAROLE DE DIEU

 Septembre 2017

Dialogue avec le Père Pierre Delort-Laval

Curé de la paroisse Notre-Dame de Versailles

Par Agnès Galloy

Je constate que la Parole de Dieu est une puissante référence pour un chrétien qui souhaite vivre véritablement sa foi. Or c’est parfois au nom d’une parole tirée de la Bible que certaines personnes abusées par un membre de leur famille ne l’ont pas dénoncé. C’est par exemple le cas de Marie-Laure qui pour respecter le quatrième commandement « Honore ton père et ta mère… » (Ex, 20, 12), hésite à parler. Comment expliquer cela ?

Père Pierre Delort-Laval : Dans l’évangile selon saint Matthieu (Mt 4, 6) le diable lui-même cite l’Écriture : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » citant ainsi le psaume 90 (versets 11 et 12). Jésus lui répond d’ailleurs en citant un autre passage de l’Écriture (Dt 6, 16): « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »

On ne peut pas déduire de l’Écriture une conduite à tenir. L’Écriture intervient au cœur de l’expérience de nos vies. Au cœur de notre vie, telle ou telle parole de l’Écriture encourage, contredit, nous fait réfléchir …

On peut citer l’Écriture mais en vertu d’une vérité que l’on assume par ailleurs. Par exemple on peut expérimenter dans notre vie que le fait d’avoir dit la vérité nous a libéré, alors que le silence ou le secret tenu jusque là nous enfermait, nous oppressait. « La vérité libère » est une affirmation que nous assumons, que nous faisons nôtre.  La parole de l’Écriture qui dit « la vérité vous rendra libre » (Jn 8, 32) résonne alors en nous, éclaire et confirme notre expérience. L’Écriture ne fonctionne pas toute seule mais avec une lecture assumée. Elle est un instrument entre nos mains. On ne peut pas faire l’économie de risquer une interprétation. C’est la condition de la fécondité d’un texte. A-t-il voulu dire ça ? On ne sait pas. En revanche, on sait qu’il façonne ainsi notre vie aujourd’hui …

 

Voulez-vous dire qu’on ne peut pas rester extérieur à l’Écriture et attendre d’elle qu’elle nous donne une conduite à suivre sans nous impliquer personnellement ? Sans la soumettre à notre propre expérience de vie ?

PDL : En effet. La Parole de Dieu se prie, se médite mais aussi s’ancre dans la réalité de notre vie personnelle, de notre « aujourd’hui ».  « Ce qui est important, ce n’est pas le livre mais la main qui le donne. » Ce proverbe spirituel nous aide à comprendre que le livre ne se suffit pas à lui-même, il dépend d’une expérience, d’une rencontre …

Puisque qu’on ne peut citer l’Écriture qu’en vertu d’une vérité que l’on assume par ailleurs, nous devenons en quelque sorte des témoins. Nous sommes témoins de la véracité de telle ou telle parole parce que nous l’avons expérimentée.

QUAND UNE VICTIME SE CONFIE A UN PRETRE

Octobre 2017

Dialogue avec Monseigneur Michel Dubost

Evêque d’Évry-Corbeil-Essonnes de 2000 à 2017

Par Agnès Galloy

 

L’expérience et l’écoute de plusieurs personnes chrétiennes victimes d’inceste m’a enseigné que la première personne vers qui elles se tournent est bien souvent le prêtre plutôt que le thérapeute. Comment un prêtre peut-il ou doit-il réagir quand il entend une personne lui dire à l’occasion d’une confession qu’elle a été victime d’inceste ?

Monseigneur Michel Dubost : Trois choses me semblent fondamentales. Il faut premièrement absolument convaincre la victime qu’elle n’est pas responsable. C’est difficile car parfois, s’il y a eu jouissance par exemple, la personne victime porte une culpabilité immense (ndlr : voir à ce sujet la question  « J’ai ressenti du plaisir et je ne me le pardonne pas. » ). Deuxièmement, il faut la convaincre qu’elle doit faire quelque chose, ne pas laisser les choses comme ça et éventuellement l’aider dans cette démarche (qu’elle aille le signaler au procureur me semble la chose normale mais ce n’est pas du tout évident pour elle). Là aussi il faut être très prudent afin de ne pas augmenter encore son sentiment de culpabilité si elle n’a pas la force de le faire. Troisièmement, il faut voir avec elle comment l’aider à se reconstruire car la question de la justice ne règle pas tout. Il faut l’encourager à aller voir un thérapeute.

 

En m’intéressant à la question, j’ai appris que le prêtre ne peut pas prendre l’initiative de revenir sur ce qui a été dit en confession. Pourquoi ne peut-il pas le faire ?

MMD : A cause du secret de la confession. Pour que le secret fonctionne et que les gens soient en confiance pour se confesser, il faut que le secret soit absolu, c’est très important.

 

Comment faire si la personne n’en reparle pas d’elle-même ? Elle pourrait mal interpréter le silence du prêtre et penser qu’il ne veut pas en reparler, qu’il est mal à l’aise etc. ?

MMD : C’est pendant la confession que le prêtre doit proposer de se revoir car le sujet est important et informer qu’il ne pourra pas de lui-même avoir l’initiative d’en reparler à cause du secret de confession.

 

Pour les personnes victimes d’inceste, il semblerait que les valeurs chrétiennes qu’elles veulent vivre les condamnent à se taire.Par exemple, la charité ne commande-t-elle pas de pardonner ?

Pour l’unité de la famille et éviter son éclatement ne vaut-il pas mieux se taire ?

Jésus nous demande de pardonner à l’infini… (Mt 18 21, 22) « Alors Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? Jésus lui répondit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois. »

Comment expliquer que des victimes puissent s’enfermer dans la solitude et le silence sous prétexte d’honorer les valeurs chrétiennes de charité, d’unité, de pardon ?

MMD : La foi ne peut pas s’inscrire contre l’humanité. Si on fait un saut d’humanité au nom de la foi, si on nie une part de notre humanité au nom de la foi, on trahit la foi. Il n’y a pas de réconfort possible sans prise en compte de soi-même.

Concernant l’unité de la famille, on ne peut pas vivre comme si cela n’avait pas existé. On n’est pas dans la vérité. Les choses doivent être dites.

Concernant le pardon, tant que la personne victime n’a pas dit à celui/celle qui l’a blessée « Tu m’as fait mal, c’est injuste et ce n’est pas normal », le pardon n’est pas possible. Cette étape est fondamentale et seule la personne victime peut la faire. Pardonner, c’est dire « Ce mal est épouvantable, c’est toi qui l’as fait, mais tu vaux plus que le mal que tu as fait. »

 

Le pardon peut-il avoir lieu si la personne coupable ne reconnaît pas ses fautes, ne se soigne pas, ne change pas ?

MMD : Non. Dès qu’il y a de l’humain, il y a relation. Le pardon nécessite que l’autre entre aussi dans cette démarche. On peut reconnaître que le mal est le mal, on peut être prêt à pardonner mais si l’autre refuse d’entrer dans cette démarche, le pardon n’a pas lieu. C’est la même chose pour Jésus qui vient nous sauver : si nous refusons le Salut, nous ne pouvons pas être sauvés !

 

Justement la plupart du temps, les auteurs de ces violences sont dans le déni, ce sont des personnes malades, perverses souvent … Sont-elles responsables si elles sont malades ?

MMD : Dans le péché il y a deux aspects : un aspect objectif (l’inceste est un crime) et un aspect subjectif (si un crime est commis par un fou, il y a crime mais il n’y a pas péché). De ce que je peux dire de mon expérience, concernant les personnes perverses, dans 95% des cas, il y a quand même une part de responsabilité donc il y a péché.

Pour qu’une relation soit humaine, il faut que soient respectées vérité et justice.

LA PAIX INTERIEURE

Janvier 2018

Dialogue avec le Père Matthieu Dupont

Supérieur du 1er cycle du séminaire de Versailles

Par Agnès Galloy

La paix est un des fruits de l’Esprit. Comment accueillir l’Esprit lorsque la blessure de l’inceste prend toute ma tête, toute mon énergie, s’immisce dans chaque espace de ma vie et me fait perdre joie et espérance ?

La paix est, en effet, un des fruits de l’Esprit-Saint. Ces fruits révèlent une adéquation entre l’Esprit-Saint et nous-même. C’est pourquoi la paix ne peut se décréter ni se construire, elle se reçoit. Une personne qui porte une lourde blessure – ce qui est le cas pour une personne victime d’inceste – est dans une situation où l’accueil de l’Esprit-Saint est difficile, précisément à cause de cette blessure. Et pourtant nous ne sommes pas laissés à nous-mêmes car l’Esprit-Saint nous a été donné au jour de notre baptême, il est en nous « source de paix intérieure ». La question est donc plutôt : « comment m’ajuster à l’Esprit-Saint pour faire jaillir de nouveau la paix ? »

Alors comment m’ajuster à l’Esprit-Saint qui est en moi, reçu le jour de mon baptême ?

La première et incontournable étape est d’accepter votre souffrance. C’est-à-dire la nommer : « Je souffre. Et je souffre à cause de telle personne, tel acte, telle blessure… » Accepter cette plaie béante qui va pouvoir être rejointe par le Christ. Car lui-même, sur la croix a été transpercé et la plaie béante de son côté ne s’est pas refermée pour nous accueillir. Son cœur ouvert juste après sa mort est le signe de son amour infini et s’accompagne du don de l’Esprit : « « Tout est accompli. Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. » (Jn 19, 30)

Accepter simplement, sans essayer de comprendre, expliquer, justifier cette blessure ?

En effet, aussi choquant que cela puisse paraître, dans un premier temps il ne faut pas tenter d’expliquer la blessure, car cela reviendrait à tenter d’expliquer le Mal. Or le Christ lui-même ne l’a pas fait, il a, par contre, pris le Mal sur lui. Le Christ est celui qui vous dit : « Je suis avec toi et je te donne l’Esprit-Saint. ». Cet Esprit qui va vous apporter la paix intérieure et vous permettre d’être en communion avec les autres, avec Dieu et avec vous-même, trois dimensions de toute relation que la blessure de l’inceste a brisées et que Dieu veut restaurer.

La communion avec les autres ?

Pour restaurer cette communion, il est nécessaire de s’entourer de personnes (au moins deux) à même d’accueillir votre blessure sans chercher des solutions immédiates et souvent inadéquates. Il est important de ne pas être seul(e) pour demeurer dans une attitude intérieure d’accueil soutenue par d’autres (des frères et sœurs de votre paroisse, de votre communauté, des amis etc.). Ces personnes en communion fraternelle et donc spirituelle vont constituer avec vous une « micro-Eglise » habitée par l’Esprit-Saint de laquelle jaillira la paix.

La communion avec Dieu ?

L’Eglise se rassemble lors de l’Eucharistie, elle permet alors à chacun de ses membres d’y renouveler sa relation à Dieu. En effet, à chaque fois que nous communions, nous nous unissons de nouveau à Jésus, mort et ressuscité. Cette union est réalisée par l’Esprit-Saint. Nous communions alors à Jésus qui, en nous, va rejoindre tout ce qui est mort et, avec une infinie douceur, nous amener progressivement à la vie, par l‘Esprit.

Et la communion avec nous-mêmes ?

Ce double dynamisme spirituel de communion avec les autres et de communion avec Dieu va restaurer la communion avec vous-même qui conduit à la paix. Il faut accepter que ce temps soit un temps long. La paix intérieure en est l’aboutissement.

La blessure est parfois si douloureuse que l’on peut désespérer et être tenté de mettre fin à ses jours pour trouver dans le repos éternel la paix qui paraît inaccessible ici-bas …

Cette tentation est grande. C’est une tentation qui nous traverse et nous n’en sommes pas responsables. Le Christ sur la croix a aussi connu cette forme d’angoisse : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15, 34). Il faut aussi nommer cette angoisse et ne pas culpabiliser. Le Christ est venu pour l’assumer et la résoudre : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 5). Il est venu pour moi, qui ressens cela ! Attention, il faut aussi prendre les moyens humains voire thérapeutiques nécessaires pour être aidé. Dans la même veine, Il est bien sûr bon de ne pas s’isoler car c’est la relation aux autres qui va soutenir mon désir de vivre. Ainsi, après avoir appelé son ami Lazare à sortir de son tombeau, Jésus dit : « Déliez-le et laissez-le aller. » (Jn 11, 44). Jésus ramène à la vie son ami et c’est par les autres qu’il le fait. Ce n’est pas Jésus qui délie Lazare de ses entraves : il demande à ses amis de le faire !

LE PARDON

Janvier 2018

Dialogue avec le père Joël Pralong

Supérieur du séminaire du diocèse de Sion en Suisse

Ancien infirmier en psychiatrie

Par Agnès Galloy

 Voir la video de l’interview ICI

Vous avez écrit « Les larmes de l’innocence – L’enfance abusée et maltraitée – Un chemin de reconstruction ». Pourquoi avoir écrit sur l’inceste ?

Père Joël Pralong : Tout simplement parce que je rencontre des personnes blessées par des abus, qui sont verrouillées par le secret, ces terribles secrets de famille où on a peur que toute la famille soit éclaboussée. Dans les confidences que je reçois, une sur cinq est un inceste ! Comment faire ?  La parole est la clé de la libération et la clé aussi d’une thérapie. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, proposer une piste pour accompagner des personnes face à un sujet auquel on n’est pas habitué. Ça ne fait pas longtemps que les langues se délient. Cet accompagnement spirituel est complémentaire à l’accompagnement psychologique.

Dans votre livre, vous parlez assez vite du pardon, n’est-ce pas trop difficile à entendre pour les victimes ?

PJP : J’ai bien expliqué que le pardon, ce n’est pas de la mollesse ! Ce n’est pas dire « Il faut pardonner, tout ça c’est du passé, tu t’en sortiras ! ».  Au contraire, pour moi, la parole est la clé de la libération comme je l’ai dit et ensuite, il faut aider la personne à réagir face à une injustice ! La personne a subi une injustice. La meilleur manière de combattre une injustice, c’est de se mettre en colère ! Il ne faut pas pardonner, il faut se mettre en colère ! (Voir à ce sujet la question suivante : « Colère ou indignation ? ») La colère permet de prendre de la distance par rapport à la personne qui a profité de moi. De la regarder comme un bourreau face à la victime que je suis ! Parce que lorsque un enfant a été abusé, il y a une confusion qui se crée dans son esprit entre abuseur et abusé, surtout quand ça s’est passé dans une famille parce qu’il y a des liens: des liens de confiance, des liens d’amitié. Et dans son inconscient voire dans sa conscience, l’enfant se sent coupable parce qu’il se dit : « Je l’ai bien accepté, c’était dans le cadre de l’amitié, je l’ai bien voulu »; et à plus forte raison lorsque l’abuseur a injecté ce message : « On était liés, on était amis et finalement il n’y a pas de mal à se faire du bien etc. ». Tout cela va créer une confusion terrible chez l’enfant et il va ravaler, il faire le déni de cet acte jusqu’à l’oublier complètement ! La capacité de refoulement au niveau psychologique est terrible.

Lorsque on peut enfin en parler, la colère permet de dire : « C’est lui l’abuseur, moi je ne l’ai pas voulu, je n’étais qu’un enfant, je ne suis qu’une victime. ». A partir de là, il faut réparer une injustice, c’est à dire porter plainte. Moi je conseille aux personnes de porter plainte pour que l’abuseur soit reconnu. On ne peut pas pardonner sans faire justice, ça ne tient pas debout, c’est de la mauvaise spiritualité.

Ensuite, lorsque l’abuseur a reconnu, a demandé pardon, a réparé comme il a pu ne serait-ce que par un don en argent (c’est aussi une manière de reconnaitre), la personne peut continuer à évoluer sur ce chemin d’une reconstruction possible. On demeure toujours blessé, on ne guérit jamais de nos blessures par contre on peut les dépasser.

C’est clair que l’acte, le blessure va créer comme une amertume, une sorte de poison qui va ronger la personne. C’est à partir de là, lorsque ces étapes ont été franchies, qu’on peut parler du pardon. Car pardonner c’est justement vouloir se libérer de cette amertume. Pardonner, c’est prendre de la distance, c’est dire: « J’accepte maintenant que tu existes, que tu sois ce que tu es, tu ne feras plus aucun tord. Mais moi je veux me libérer de ce poison de l’amertume et c’est la raison pour laquelle je veux te pardonner. »

Dans l’expérience déjà, au delà de l’Évangile, au niveau psychologique, on se rend compte que le pardon empêche le poison de me ronger jusqu’à provoquer des métastases cancéreuses ! Le pardon fait partie du chemin thérapeutique. Il permet de me libérer de cet autre qui m’est rentré dans peau ! Dans un cas d’inceste, l’autre me rentre dans la peau. je ne suis plus seul à vivre, c’est un autre qui vit en moi par ce souvenir qui me poursuit continuellement. Donc la justice, objectiver ce qui s’est passé, me reconnaître comme victime et à la fin, je fais quoi avec tout ça ? C’est là qu’intervient la spiritualité : le pardon finalement va me libérer de ce poison. Et quand je dis « pardon », et que je pose un acte de foi aussi en disant pardon, c’est dans la puissance du Christ. J’aime beaucoup ce passage de l’Écriture où Jésus dit sur la croix « Père pardonne-leur il ne savent pas ce qu’ils font. » Pourquoi Jésus ne dit pas: « Père, je leur pardonne » ? Parce que à ce moment là, il est humain. Il nous représente tous humainement. Et il y a des pardons qu’on ne peut pas donner. Ce n’est pas possible ! C’est pourquoi Jésus dit : « Toi Père, pardonne-leur parce que moi je ne peux pas, je suis humain. Mais toi en pardonnant, tu vas me donner la puissance à mon tour de pardonner et de me rendre libre ». Le pardon est la clé de la liberté. Mais il y aura toujours un pardon à redonner parce que le microbe, le virus, comme une grippe, se cache quelque part et il est toujours prêt à rentrer de nouveau dans ma peau. C’est pourquoi la dimension spirituelle est importante. Elle me fait rentrer dans un combat contre les forces du mal qui veulent toujours me posséder.

Je connais un homme qui m’a dit: « J’ai dépensé 600 000€ en 50 ans pour me sortir de cette blessure de l’abus et j’ai lu ce que vous disiez sur le pardon. Je me suis dit que c’était une piste à explorer ». C’est un homme qui est remonté contre les religions donc cela m’a touché que cet homme y ait vu quelque chose de raisonnable et une piste qu’il n’avait pas exploitée. C’est pourquoi je crois que ça en vaut la peine.

Peut-on pardonner quand l’abuseur est dans le déni ou quand aucune réparation n’a pu avoir lieu ?

PJP : C’est vrai qu’il y a des pervers narcissiques. Les pervers narcissiques ne reconnaissent pas. Et il y a les abuseurs névrotiques, c’est à dire ceux qui sont pulsionnels. Il savent qu’ils sont attirés à faire ces actes-là, ils ne peuvent pas s’en empêcher et après ils seraient prêts même à se suicider, il y en a qui l’ont fait tellement ils regrettent !  Ce n’est pas pour atténuer l’acte que je dis cela mais c’est pour comprendre les deux types d’abuseurs. Il y a aussi les abuseurs qui sont morts. Dans ce cas-là il n’y a même plus de reconnaissance ou non !

Je dirais que quand il n’y a plus de possibilité, je reste avec mon poison. Lorsque la justice n’est plus possible, lorsque le soutien psychologique qui a aidé à mettre des mots et à se séparer de cette confusion abuseur/abusé, il reste toujours la spiritualité. En tant que croyant, je crois fermement que Dieu peut agir aussi sur cette blessure.

Le pardon me libère de cette emprise parce qu’en pardonnant, je reconnais que l’autre a malgré tout le droit d’exister tel qu’il est et que moi je peux prendre de la distance par rapport à cet autre, par rapport au mal qu’il m’a fait. Je le redis, c’est plus une libération personnelle. Et quand il n’y a plus rien d’autre, il faut continuer à travailler tout ce qu’il y a encore de déni chez l’abusé, il faut faire sortir la colère. Je le redis, la colère, c’est important. Si je pouvais fracasser la tête de cette personne ! Ben oui, dis-le, c’est important de le dire parce que ce qu’il t’a fait c’est plus grave encore que de lui fracasser la tête. Alors vas-y, fracasse-le si tu peux, fais un dessin, fais un geste, fracasse-le !

Dans cet accompagnement personnel psychologique, il y a des mots, il y a des pistes, des gestes, des actes mais au bout du compte je reste seul avec mon poison. « Père pardonne-leur. Qu’est ce que je fais maintenant ? Moi je ne peux plus rien. Il n’y a plus d’autres moyens, il n’y a que Toi qui puisses intervenir pour me libérer moi-même. »

Peut-on pardonner et en même temps couper les liens avec l’abuseur ?

PJP : Complètement ! On peut pardonner sans le rencontrer, c’est tout à fait possible ! J’irai même jusqu’à dire qu’on peut pardonner à celui qui est mort. Si je crois que celui qui est mort est sur chemin que je ne connais pas, qui lui appartient et que Dieu seul connait (puisque de l’autre côté de la mort, c’est l’homme qui se perd ou cherche à se sauver), je pense que je peux par delà la mort, dans le Seigneur, lui pardonner.

Mais il faut être clair, je le redis, on n’en guérit jamais. Ce dont on peut guérir, quand je dis qu’on peut dépasser la blessure, c’est du repliement sur soi. Parce qu’après des blessures comme ça on peut vivre toute une vie centré sur soi, en n’entendant plus que sa souffrance, en n’étant plus capable d’entrer en relation avec les autres sans parler de soi, sans se sentir toujours blessé parce que l’autre n’a pas vécu que je moi j’ai vécu, l’autre ne pourra jamais comprendre ce que moi j’ai vécu. Pour quitter une relation ou inconsciemment, je vais comme me rattraper en faisant de la manipulation affective. Ça c’est un grand danger qui guette les personnes qui ont été abusées. C’est de manipuler les autres. C’est comme une force inconsciente de vengeance (mais sans connotation morale) pour dire vous allez voir, quand j’entends le mot amour, c’est tout de suite le signal d’alarme, le gyrophare. Et bien je vais profiter de cette relation-là mais pour te posséder, pour t’avoir pour mon propre besoin.

Ou bien au contraire ça peut être des relations de froideur, où je n’entre en relation avec plus personne si ce n’est très superficiellement. Il y a des symptômes de la maladie liée à l’abus. Si l’abus provoque un repli, la conséquence sera une « double-maladie » qui est le refus de vivre finalement, le refus de regarder les autres, de regarder la vie, de l’accueillir. Là, la spiritualité peut m’aider à regarder à nouveau la vie grâce à Celui qui a pardonné et qui me donne la force du pardon.

Souhaitez-vous laisser un message ?

PJP :  Je voudrais surtout laisser un message aux gens d’Église : n’ayez pas peur d’affronter ces situations, n’ayez pas peur de la Vérité, n’ayez pas peur de reconnaitre les abus qu’il y a dans la société comme dans l’Église. N’ayez pas peur, accueillez ces personnes, ne les fuyez pas, entrez dans leur histoire, faites preuve de compassion. Déjà simplement cela, vous allez les aider. Ne les jugez pas, ne citez pas des passages du catéchisme ou ne vous réfugiez pas derrière ce que dit l’Église et la doctrine, non! Quand on est en face d’une personne qui souffre, il n’y a plus de doctrine qui tienne le coup. Il n’y a que le pouvoir des mains vides ! Je n’ai rien dans mes mains. Je n’ai que mon cœur à offrir et à donner. Je n’ai qu’un cœur qui peut être capable d’écouter.

Ensuite, je n’ai peut être pas les conséquences pour aider la personne mais je peux lui conseiller d’aller trouver un psychologue ou d’aller trouver un prêtre qui a ces compétences-là. On est tous différents et complémentaires. Il y a une omerta qui plane encore que j’appellerais « secret de famille ». C’est le même secret, la même omerta qui plane sur ces situations et qui détruit les gens de l’intérieur. Il faut permettre aux gens de parler. Il faut souffrir avec. Il faut faire preuve de compassion.

Le message pour les personnes qui ont subi est qu’il FAUT parler parce que c’est la clé de la libération. Il faut parler en allant trouver les personnes compétentes. Et surtout, ce que je dirais, c’est de ne pas se décourager si la personne que je croyais compétente a fui ou m’a mal reçu. Il y a des gens qui sont compétents pour cela. Je crois en un évangile qui est libérateur. Jésus est venu pour les blessés, il est venu pour les pauvres. Et il faut que cet Évangile soit transmis vraiment comme une parole de libération, comme une parole thérapeutique, comme une parole qui fait sens. Il faut que nous autres, gens d’Église, en soyons les témoins. Il ne faut plus avoir peur maintenant, il faut aller de l’avant quelles qu’en soient les conséquences. Il faut permettre aux familles de parler, il faut permettre aux gens d’aller de l’avant. Sinon on ne va pas jusqu’au bout de cette misère pour laquelle Jésus est venu, pour laquelle il nous a laissé un Évangile.

LA COLERE, UN PECHE CAPITAL ?

« Catéchisme de l’Église Catholique (articles 2302 et suivants) :

Tu ne commettras pas de meurtre (Ex 20, 13).

Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens :  « Tu ne tueras pas. Celui qui tuera sera passible du jugement. » Et moi, je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement (Mt 5, 21-22).

 

 

 

2302 En rappelant le précepte : « Tu ne tueras pas » (Mt 5, 21), notre Seigneur demande la paix du cœur et dénonce l’immoralité de la colère meurtrière et de la haine :

La colère est un désir de vengeance. « Désirer la vengeance pour le mal de celui qu’il faut punir est illicite » ; mais il et louable d’imposer une réparation « pour la correction des vices et le maintien de la justice » (S. Thomas d’A., s. th. 2-2, 158, 1, ad 3). Si la colère va jusqu’au désir délibéré de tuer le prochain ou de le blesser grièvement, elle va gravement contre la charité ; elle est péché mortel. Le Seigneur dit : « Quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement » (Mt 5, 22).

 

2303 La haine volontaire est contraire à la charité. La haine du prochain est un péché quand l’homme lui veut délibérément du mal. La haine du prochain est un péché grave quand on lui souhaite délibérément un tort grave.  » Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis, priez pour vos persécuteurs ; ainsi vous serez fils de votre Père qui est aux cieux…  » (Mt 5, 44-45).

 

2304 Le respect et la croissance de la vie humaine demandent la paix. La paix n’est pas seulement absence de guerre et elle ne se borne pas à assurer l’équilibre des forces adverses. La paix ne peut s’obtenir sur terre sans la sauvegarde des biens des personnes, la libre communication entre les êtres humains, le respect de la dignité des personnes et des peuples, la pratique assidue de la fraternité. Elle est « tranquillité de l’ordre » (S. Augustin, civ. 10, 13). Elle est œuvre de la justice (cf. Is 32, 17) et effet de la charité (cf. GS 78, §§ 1-2).

 

2305 La paix terrestre est image et fruit de la paix du Christ, le « Prince de la paix » messianique (Is 9, 5). Par le sang de sa croix, il a « tué la haine dans sa propre chair » (Ep 2, 16 ; cf. Col 1, 20-22), il a réconcilié avec Dieu les hommes et fait de son Église le sacrement de l’unité du genre humain et de son union avec Dieu. « Il est notre paix » (Ep 2, 14). Il déclare « bienheureux les artisans de paix » (Mt 5, 9).

 

2306 Ceux qui renoncent à l’action violente et sanglante, et recourent pour la sauvegarde des droits de l’homme à des moyens de défense à la portée des plus faibles rendent témoignage à la charité évangélique, pourvu que cela se fasse sans nuire aux droits et obligations des autres hommes et des sociétés. Ils attestent légitimement la gravité des risques physiques et moraux du recours à la violence avec ses ruines et ses morts (cf. GS 78, § 5).